Bonheur & Idéal : les 6 commandements de l’âge d’or

Salut les Vin d’joueuses et Vin d’joueurs,

Comme vous le savez peut-être, sous l’aimable invitation de votre magazine favoris, Plato, Vin d’jeu a participé à la rédaction du numéro 100 en y publiant un article issu des pattes de Ren & SwatSh.

Si vous vous n’êtes pas procurés ce magnifique magazine (houuuuu, pô bien ça) et que vous avez envie de lire notre ressenti sur l’âge d’or que nous vivons tous pour le moment (Yeaaaahh, très bien ça 🙂 ), nous vous retranscrivons notre article dans son intégralité ici.

Amusez-vous bien!

« Bonheur & Idéal : les 6 commandements de l’âge d’or »

Lorsque Plato nous a contactés pour nous proposer un article dans le numéro 100, nous avons été très honorés et très enthousiastes par la démarche. Vin d’jeu est un site plutôt spécialisé dans les critiques de jeu et moins dans les articles de fond comme vous pouvez en trouver dans votre magasine préféré. Nous avons néanmoins décidé, en l’honneur de Plato, de, nous aussi, nous pencher dans le journalisme d’investigation . Voici donc notre modeste contribution à cet anniversaire et fête de Plato. Nous voulons vous parler d’un sujet qui nous tient à cœur : le monde du jeu de société moderne !

N°100. Déjà! Quelle magnifique étape pour Plato, LE magazine du jeu de société dans la francophonie. Magazine qui a été lancé en 2005, soit au début de ce que nous appelons l’âge d’or. Il n’y a en effet pas d’autre expression pour décrire la période que nous vivons aujourd’hui dans le monde du jeu de société. Le premier dictionnaire venu trouvé sur la toile nous donne la définition suivante:

Age d’or

Sens : Époque idéale

Origine : Expression qui fait référence aux 5 âges de mythologie grecque (Note des auteurs: mythologie grecque… Plato… vous avez saisi le subtil lien?  ) que distinguait le poète de l’Antiquité Hésiode. L’âge d’or c’était le temps de l’innocence, de la justice, de l’abondance et du bonheur. Par extension, l’expression s’est généralisée à tous les domaines et exprime une notion de bonheur et d’idéal.

Bonheur et idéal? Voilà qui nous semble parfaitement caractériser le monde du jeu aujourd’hui. Pourquoi? Pour plein de raisons! Nous en avons identifié 6, il y en a sûrement tout plein d’autres, mais nous allons nous concentrer sur les 6 en question, présentés sous forme de commandements pour tout bon apôtre de la chose ludique. Voyons ça plus en détail.

1) Dans l’abondance tu te prélasseras

La production ludique actuelle est tout bonnement gargantuesque! Le nombre de jeux publiés chaque année est gigantesque. A noter que cette tendance n’est pas propre au secteur du jeu, tous les loisirs culturels connaissent le même sort: il n’y a jamais eu autant de livres, de bandes dessinées, de films, de peintures, de musique… Bref il y a une tendance générale à l’obésité. Certains trouveront cela exagéré. D’un autre côté il n’y a jamais eu autant de choix pour satisfaire tous les goûts et toutes les attentes! Quand vous vouliez jouer à un jeu de société il y a 30 ans le choix se limitait à « Monopoly, Scrabble, Cluedo, Mastermind ou Mille-Bornes » (ok sorry j’ai oublié les échecs, les dames et la belote…). Aujourd’hui le choix est immense! Impossible de ne pas trouver son bonheur: qu’on aime un brise-neurones froid, calculatoire, non thématique et très long ou un coopératif immersif avec scénarios et événements aléatoires, et bien on trouvera chaussure à son pied!

2) Sur la qualité point tu ne transigeras

Le niveau général de qualité des jeux qui sortent aujourd’hui est excellent. On s’habitue très vite à cette évolution mais si vous comparez les jeux d’il y a 30 ans et ceux d’aujourd’hui, il n’y a pas photo! Que ce soit au niveau des jeux en eux-mêmes (idées de base, mécanismes, fluidité, rejouabilité), au niveau des règles ou au niveau du matériel, on est littéralement passé dans un autre siècle! L’immense majorité des jeux sortis il y a 30 ans ne passeraient plus la rampe de l’édition aujourd’hui! Au niveau de l’idée centrale du jeu et des mécanismes c’est souvent beaucoup plus basique, voire pauvre (ce qui ne veut pas dire que tous les jeux qui sortent aujourd’hui sont bons, soyons clairs!), à part les quelques (rares) chefs-d’œuvre dont on se souvient encore / auxquels on joue encore aujourd’hui. Au niveau de la fluidité n’en parlons même pas, beaucoup de jeux de l’époque nous paraissent aujourd’hui horriblement lourds, pesants, lents. Et je ne parle même pas de la rejouabilité… Quand au matériel, c’est peut-être ici que la différence est la plus frappante. Un « bon » jeu aujourd’hui ne peut pas sortir sans avoir un matériel de toute bonne qualité. Il y a souvent sur les forums des remarques du genre: « je suis très déçu, le matériel est bien mais les pions ne sont pas en malachite dorée de la montagne sacrée, et il n’y a même pas de sac en poil de peau de cul de zébu du Ngorongoro pour mettre les dés, franchement ils se foutent de notre gueule! D’ailleurs je vais lancer un appel à boycotter le jeu sur les réseaux sociaux ». Mais il y a 30 ans on avait une boîte en carton pourrave, sans thermoformage, avec du matériel naze (genre des cailloux ramassés dans l’allée du voisin, et devant lesquels tout le monde s’extasiait, si vous voyez ce que nous voulons dire… ok on sort avant de se faire lyncher) et des illustrations à pleurer. Et tout le monde trouvait ça super. On sortirait un jeu comme aujourd’hui les serveurs de l’éditeur exploseraient sous le nombre de messages d’insultes…

3) S’exprimer librement la créativité tu laisseras

Si il y a bien un domaine où l’être humain est (et restera) supérieur à la machine, c’est au niveau de la créativité. Un humain fait des liens, imagine, crée, invente, rêve. Et ceci est absolument et totalement valable dans le monde du jeu de société aujourd’hui. On croyait avoir tout vu, tout entendu, tout joué? Think again! Le nombre de concepts nouveaux ou originaux qui sont sortis ces dix dernières années est tout simplement époustouflant! Que ce soit un jeu vraiment nouveau ou original, un thème non encore exploité, ou simplement une amélioration d’une idée déjà existante, on vit dans un océan de créativité et de nouvelles sensations. Si nous reprenons la liste mentionnée plus haut de jeux d’il y a 30 ans et la comparons avec la variété des sensations qu’on peut ressentir en jouant à des jeux sortis ces dernières années, c’est un gouffre, un cap, une péninsule!

Pour illustrer concrètement ces 3 premiers commandements, nous avons préparé une liste non exhaustive et (nous assumons) subjective des jeux qui ont marqué le monde ludique depuis le lancement de Plato. Notre source d’inspiration a été, avouons-le, assez évidente… Vin d’jeu pardi ! Et oui, Vin d’jeu peut être comparé à Plato d’un point de vue historique (pas qualitatif bien entendu ou Plato nous surpasse aisément, respect). Vin d’jeu a été créé un peu plus de 3 ans après Plato. Depuis Janvier 2009 exactement. Au rythme de 11 à 12 numéros par an, Vin d’jeu pourrait lui aussi fêter ses 100 numéros . Voici notre analyse. Avouez que ça donne le tournis (et aussi très envie de jouer!) Jugez plutôt:

Commençons par l’année 2005, l’année de la création de Plato qui fut un grand cru à plus d’un titre. Elle a vu naître la maître des jeux d’ambiance : Time’s Up qui se doit de faire partie de toute ludothèque.

Après ce coup de maître, son éditeur, Repos Production, ne s’est pas arrêté là dans l’innovation puisque c’est lui qui a récidivé avec 7 Wonders 5 ans plus tard qui a lancé une mécanique maintes fois reprise depuis lors : le draft !

Une autre mécanique est également née en 2005 : le placement d’ouvriers avec Caylus qui a été suivi, 2 ans après, par le maître incontournable du placement d’ouvriers : Agricola ! Plus tard sortiront d’autres légendes se basant sur ce système tels que Descendance et son système d’enlèvement d’ouvriers, Vinhos, un des chefs d’œuvres de complexité ou Tzolk’in et sa roue unique en son genre. Le récent et magnifique Great Western Trail nous prouve que cette mécanique a encore de très beaux jours devant elle.

Un an plus tard, c’est le jeu de civilisation ainsi que le jeu de cartes qui se voit bouleversé avec la sortie de Through the Ages et sa mécanique d’acquisition de cartes reprise de nombreuses fois depuis lors. Ce style s’est ensuite développé avec de très grands titres tels que Sid Meyer’s Civilisation ou Race for the Galaxy.

2009, l’année du lancement de Vin d’jeu, fut également un grand cru (même pour le vin ). Le jeu de coopération et en temps réel se voit sublimé avec Space Alert. D’autres excellents jeux collaboratifs sont sortis depuis tels que Hanabi, Mysterium. Time Stories apporte un côté jeu de rôle des plus savoureux et Pandemic Legacy a introduit le système d’héritage de partie en partie.

2009 a vu naître Dominion également. Le jeu incroyable qui a lancé de système de deckbuilding.  Concordia a, par la suite, apporté un système de plus grande maîtrise ainsi qu’un plateau à ce style dont on ne compte plus le nombre de jeux.

Les jeux de dés, fort décriés auparavant, ont connu leur essor aussi en 2009 avec Macao suivi d’une série de jeux de Stefan Feld qui ont approfondi la mécanique de gestion du hasard des dés avec notamment les sublimes Châteaux de Bourgogne. N’oublions pas Troyes qui a apporté une belle profondeur à la mécanique ainsi qu’une interaction plus forte.

Le jeu d’enchères a été plus souvent délaissé mais notons le magnifique Keyflower qui nous fait dire qu’on n’a pas encore fini d’entendre parler de cette mécanique.

Enfin, l’actualité plus récente nous fait dire qu’on n’est pas à l’abri de grandes surprises avec Splendor qui a innové en matière de mécaniques combinatoires et simples. Scythe enfin a réussi à marier subtilement les mécaniques « Allemandes » aux jeux de combats « Américains » et nous laisse entrevoir un futur mélange de genres des plus succulents.

Impressionnant, non?!

Mais reprenons le fil avec notre 4ème commandement

4) A ton loisir favori sans limite tu t’adonneras

Une chose est d’avoir une passion, une autre est de pouvoir l’assouvir! Et ici encore, nous vivons une époque merveilleuse dans le monde du jeu. Point également et à nouveau valable d’ailleurs pour beaucoup de loisirs culturels. La globalisation, Internet et les réseaux sociaux sont en effet passés par là, et si il y a beaucoup de choses à dire (et redire) sur ces concepts, il est évident qu’ils facilitent grandement la vie du joueur moyen.
D’un côté il peut se procurer à peu près n’importe quel jeu provenant de n’importe où dans le monde, que ce soit grâce à un réseau de distribution existant ou à Internet.

Exemple:
« tiens j’ai entendu qu’il y a un super jeu Chilien qui est sorti sur la guerre de cent ans dans une esthétique Steampunk trash »
(air blasé) « oui je l’ai acheté en promo chez Carrouf le mois passé, ils faisaient -20% si tu prenais 2 paquets de tacos et un pot de Guacamole »
« … »

Alternative:
« tiens j’ai entendu qu’il y a un super jeu Chilien qui est sorti sur la guerre de cent ans dans une esthétique Steampunk trash »
(air blasé) « oui je l’ai acheté sur le net, il y a un grossiste chinois qui déstockait, il faisait -20% si tu achetais en roupies norvégiennes. Bon les règles sont en Cantonais (c’était un grossiste de Hong Kong) mais pas grave, j’ai trouvé la traduction sur un site roumain »
« … »

De l’autre le joueur moyen a maintenant tous les outils en main pour trouver beaucoup plus facilement des partenaires pour s’adonner à son vice. Il y a 30 ans si vous habitiez un bled paumé loin de toute civilisation, ben le jeu de société se résumait à des parties de solitaire ou des réussites. Aujourd’hui les réseaux sociaux vous permettent de trouver des partenaires en deux coups de cuillère à pot! Il est beaucoup plus facile de jouer en dehors du cercle familial aujourd’hui (ben oui tout le monde n’a pas une famille joueuse…).

5) Au monde tu t’ouvriras

Le 5ème commandement est un de mes préférés (c’est Ren qui parle ici): aujourd’hui le monde est devenu un village. Et cela se remarque aussi dans le monde du jeu de société. Il y a 30 ans le joueur francophone moyen jouait à des jeux Français/Francophones (peu), à des jeux Allemands (beaucoup) et à quelques autres d’ailleurs uniquement parce qu’ils étaient les « classiques » (ceux déjà cités plus haut). Aujourd’hui on joue à des jeux… du monde entier!

Les jeux Allemands n’ont plus de secret depuis longtemps disions-nous. Mais les (brillantissimes) jeux Belges sont maintenant accessibles, de même que les (rigoureux) jeux Suisses et (certes un peu plus rares) les (rigolos) jeux Canadiens. Les jeux Italiens sont partout. Les jeux Hollandais, Espagnols, Anglais, Russes, Portugais sont sur toutes les tables. Mais nous avons aussi accès aux jeux Américains, Chinois, Finlandais, Grecs, Chiliens (oui je sais j’insiste, il y a d’ailleurs un très bon jeu sur la guerre de cent ans dans une esthétique Steampunk trash, je vous le recommande chaudement!)… Cette ouverture est absolument géniale! On découvre des manières de penser, de réagir, de créer, de rêver totalement différentes de celles auxquelles nous sommes habitués. Des univers graphiques qui n’ont rien à voir. Des rapports aux règles ou aux mécanismes surprenants et originaux. Bref on découvre de nouveau horizons et on sort de son monde à soi pour s’ouvrir aux autres. On est parfois déçu. Mais on fait souvent des découvertes inattendues et on trouve parfois des pépites inoubliables. Et ça, ce n’est que du bonheur!

6) L’assouvissement de ton fantasme personnel tu exigeras

Last but not least, même si ce commandement est assez proche de l’abondance, l’évolution du monde du jeu de société aujourd’hui permet de combler des attentes de plus en plus précises. Les statisticiens utilisent le concept de « long tail », c’est-à-dire des occurrences peu nombreuses de multiples événements différents. En Français cela signifie des événements très rares (ils ne se produisent pas souvent) mais très nombreux (chaque événement se produit rarement, mais il y a énormément d’événements différents qui se produisent rarement). Quel rapport avec le jeu de société? Le voici: il y a 30 ans tout le monde jouait à quelques jeux, tous les mêmes. Il n’y avait donc pas de « long tail »: beaucoup de gens jouaient à quelques jeux. Aujourd’hui la long tail existe, et existe même de plus en plus. Vous voulez jouer à un jeu de conquête qui se passe pendant la guerre d’Espagne, avec des cartes et des dés? Ca existe (je n’ai pas vérifié mais je suis sûr que oui. Et si non ça va sûrement arriver). Vous voulez jouer à un jeu de placement d’ouvriers dans lequel vous allez développer votre ferme et faire pousser des carottes? Ca existe (pour celui-ci suis sûr  ). Vous voulez explorer la galaxie avec des figurines de ouf et un mode semi-coopératif contre un maître du jeu? Ca existe. Et ainsi de suite quasiment à l’infini. Et si votre rêve n’existe pas encore, les plateformes de crowdfunding vont certainement se charger de le faire exister très bientôt! (voire vous allez vous débrouiller pour le faire exister vous-même!)

Bref vos fantasmes les plus inassouvis vont trouver à s’exprimer. Certains pourront regretter une sorte d’individualisation du plaisir du jeu (« oui pas mal mais je n’aime pas le thème de la 2ème guerre mondiale, je préfère la 1ère, du coup je n’ai pas envie d’y jouer »). D’autres y trouveront au contraire une manière d’intéresser de plus en plus de monde au jeu de société, chacun trouvant la combinaison personnelle qui permet de se passionner pour un jeu.

Si vous prenez ces 6 commandements ensemble, vous avez la recette pour l’âge d’or du jeu de société, et c’est exactement la période dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Quand il faut choisir un jeu pour une soirée jeux, voici ce qu’il se passe aujourd’hui pour un être ludique normalement constitué:

(œil pétillant) « tiens je jouerais bien un petit Agricola »

(filet de bave à la commissure des lèvres) « ou alors je ferais bien un petit Time’s Up en famille »

(ruisseau de bave coulant de la bouche ouverte) « mmmm si je fonçais à la ludo, ils viennent de recevoir la dernière extension de Mage Wars »

(rivière de bave inondant abondamment vos chaussures) « ho non je vais plutôt appeler Manon, elle vient de recevoir sa boîte de Round House commandée sur un site Hong Kongais, signée par l’auteur »

(le facteur sonne, une mer de bave s’étale dans toute votre maison) « ma boîte du 7ème Continent full pledge édition collector… Raaaaaaaaaaaaaaaaaah Lovelyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy »

Nous nageons dans un océan de bave ludique, et c’est bel et bon! Longue vie à l’âge d’or, et longue vie à Plato pour continuer à nous éclairer sur notre passion!

SwatSh (un peu) & Ren (beaucoup) de Vin d’jeu (www.vindjeu.eu)