Tigris & Euphrates
C’est en rédigeant une de mes dernières chroniques sur Samouraï, dans laquelle j’ai cité Tigris & Euphrates comme référence, que je me suis rendu compte de l’horreur absolue : nous n’avons pas encore parlé du chef d’oeuvre de Reiner Knizia sur Vin d’jeu !
Ni une ni deux, on s’est (re)penché sur les règles pour y jouer dès notre prochaine soirée Vin d’jeu.
Verdict : toujours aussi bon qu’il y a 20 ans ! 🙂
But du jeu
Le but du jeu est du Knizia tout craché 😉 Les joueurs vont gagner des PVs de chacune des 4 couleurs. A la fin du jeu, ils vont comparer les PVs de la couleur où ils en ont le moins. La joueuse qui a le plus de PVs dans la couleur où elle en a le moins l’emporte 😀 J’espère que vous avez suivi le truc 😀
Fin du tour d’un joueur
A la fin de son tour, une joueuse va piocher au hasard autant de tuiles civilisation que nécessaire pour atteindre une main de 6 tuiles. C’est là d’ailleurs le plus grand reproche qu’on peut faire à Tigris & Euphrates : cette mécanique de pioche hasardeuse. Et ce hasard joue un grand rôle. Il ne sera pas rare de voir pester les joueurs de ne pas piocher telle ou telle couleur de tuile en sachant que les tuiles rouges sont les plus prisées et que si vous n’en piocher pas ou peu, vos chances de victoire s’amenuisent.
2 actions
Tigre & Euphrate est assez simple et peut être comparé à Medina, sorti 4 ans plus tard. Les joueurs disposent de 6 tuiles civilisation derrière leur paravent ainsi que de 4 leaders et de 2 catastrophes. Chacun joue à son tour jusqu’à la fin du jeu. A son tour, un joueur réalise 2 actions différentes ou les mêmes parmi les suivantes :
- Placer un de ses 4 leaders
Un leader doit être placé à côté d’une tuile civilisation rouge. Il forme alors un royaume avec cette tuile ainsi qu’avec toutes les autres tuiles adjacentes. - Placer une tuile civilisation sur le plateau
On la place où on veut sur un endroit libre. Ces tuiles on 4 couleurs possibles qui correspondent aux couleurs des 4 leaders de chaque joueur et aux couleurs des PVs. Si on place une tuile civilisation sur un royaume et si ce royaume contient un leader de la même couleur que la tuile placée, le propriétaire de ce leader gagne 1 PV de la couleur correspondante.
Evidemment, avoir les tuiles des couleurs où vous avez le moins de points est un avantage… - Placer une catastrophe
On la place soit sur un endroit vide pour le bloquer, soit sur une tuile qui est alors détruite.
Conséquences automatiques
Ces simples actions peuvent avoir 3 types de conséquence :
- La construction d’un temple
Si on arrive à construire 4 tuiles de même couleur les unes à côté des autres en « carré » on peut les transformer en temple. Un temple a toujours 2 couleurs et rapporte un PV de chacune de ces 2 couleurs aux leaders de même couleur faisant partie du même royaume à chaque tour. - La guerre
Une guerre a lieu lorsqu’on place une tuile temple qui va unir 2 royaumes. Pour chaque couleur, on va regarder si un leader se trouve dans chacun des 2 royaumes fusionnés. Si c’est le cas, ils se combattent en comptant le nombre de tuiles de leur couleur dans leur royaume respectif. Ils peuvent ensuite jouer des tuiles de même couleur de derrière leur paravent pour augmenter leur score. Le plus fort l’emporte et gagne autant de PVs que de tuiles de même couleur du perdant. Les tuiles du perdant sont alors défaussées ce qui va changer, souvent fondamentalement, la physionomie de la partie. - La révolte
Une révolte a lieu lorsqu’on place un de ses leaders dans un royaume contenant un leader adverse de même couleur. Les 2 joueurs vont alors devoir jouer des tuiles rouges de derrière leur paravent qui seront additionnées avec les tuiles rouges adjacentes à leur leader. Le plus fort l’emporte et éjecte l’adversaire du royaume. C’est un bon moyen pour profiter des temples ou pour préparer une guerre future… Autant avoir des tuiles rouges 😉
A l’exception de son système trop hasardeux d’acquisition des tuiles, Tigris & Euphrates n’a pas beaucoup vieillit. Il propose un système de jeu qu’on ne voit plus à l’heure actuelle mais qui reste très plaisant à jouer. Le placement de tuile, la gestion des conséquences et un système assez abstrait ne sont plus en vogue pour le moment. Le jeu est très dynamique et grâce à son système de révolte et de guerre la physionomie du jeu change constamment. Une certaine vision long terme est nécessaire mais c’est dans la tactique que vous devrez exceller. Cette tactique et la bonne vision et observation des opportunités sont les clés du succès dans ce jeu qui a toujours sa place dans toutes les bonnes ludothèques. Une seule question reste sans réponse : lequel des 2 fleuves du plateau est le Tigre ? Je pense pour celui du dessus 😀
20 ans déjà que Tigris & Euphrates (ou Tigre & Euphrate) est sorti, et le jeu n’a pas pris une ride, ce qui absolument remarquable quand on voit l’explosion ludique à laquelle nous avons assisté pendant toutes ces années! Pas pris une ride donc, car le plaisir ludique est toujours aussi intense, et surtout les mécanismes ne paraissent pas le moins du monde datés.
Pour rappel, pour les distraits inattentifs au fond de la classe, nous sommes en présence d’un jeu de développement de territoire (royaumes) et de baston. Mais une fois que vous connaitrez l’auteur du jeu, en l’occurrence Herr Knizia himself (si si c’est bien le maître qui a réalisé cette petite merveille, il a aussi fait dans ce genre là), vous déduirez immédiatement que vous n’allez pas manipuler 60 magnifiques figurines uniques de 18cm de hauteur, peintes à la main avec des pigments de fleur de lotus cueillies sur les hauteurs du Mont Sacré de la Déesse Mère. Non. Vous allez plutôt manipuler des cubes (ou des ronds, ou des carrés, ou des losanges, ou des tubes, enfin ce que vous voulez du moment que c’est modélisable) pour scorer le plus de points possible à la fin, via un système tordu (modélisable aussi). Oui. Et en plus vous allez aimer ça, bande de petits chenapans!
Le flow du jeu est très simple: à son tour de jeu un joueur a 2 actions, à effectuer parmi les 4 actions possibles (on peut faire 2 fois la même):
1. Placer une tuile (il y a 4 couleurs différentes)
2. Placer ou déplacer un chef (un chef par couleur)
3. Poser une catastrophe (2 fois maximum par partie)
4. Echanger des tuiles (on en a toujours 6 en main au début de son tour, à faire si on n’est pas satisfait de ses tuiles. Rarement utilisé car cela « coûte » une action, ce qui est assez cher surtout que vous n’avez pas de garantie que les nouvelles tuiles soient meilleures)
Chaque fois qu’on place une tuile d’une couleur donnée sur un royaume où un chef de la couleur est présente, le joueur qui détient le chef en question marque 1 point de la couleur (on va donc très logiquement et la plupart du temps placer les tuiles là où on a des chefs).
Jusque là tout va bien. Mais comme vous l’avez astucieusement deviné, tous les joueurs jouent toutes les couleurs. En d’autres mots, chacun a un chef de chacune des 4 couleurs. Et que se passe-t-il quand 2 chefs de la même couleur se retrouvent sur le même royaume? Ben ils se tapent dessus. Et arrive ici une des spécificités du jeu qui n’a pas pris une ride, au contraire même: il y a 2 types de conflits différents, qui donnent un tout autre résultat. Selon que vous entrez en conflit parce que vous « parachutez » un chef de la couleur x sur un royaume où il y a déjà un autre chef de la même couleur, ou que vous entrez en conflit parce que deux royaumes différents (mais dirigés par un chef de la même couleur) entrent en contact suite à la pose d’une tuile, la manière de régler le conflit (et les points de victoire que vous allez en retirer) seront tout à fait différents. C’est vraiment une caractéristique majeure du jeu, quelque chose que j’ai rarement (re)vu ailleurs, qui fonctionne parfaitement et qui fait creuser les méninges! A noter qu’on va potentiellement jouer des tuiles lors de la résolution des conflits, quoi qu’il arrive à la fin de son tour on repioche toujours pour avoir 6 tuiles en main.
A ça il faut encore ajouter qu’on peut construire un monument (si on forme un carré avec 4 tuiles de même couleur), qui donnera des points supplémentaires en fin de tour pour les chefs aux couleurs du monument (il est bicolore). Plus le fait qu’on peut utiliser les 2 tuiles catastrophe pour briser une tuile existante (et foutre le boxon dans le royaume d’un autre par exemple). Et qu’on peut récupérer des trésors pendant la partie, i.e. des cubes de victoire placés en début de partie, et qui seront en fait des jokers (=la couleur de son choix) au moment du décompte final. Et, last but not least, que le vainqueur ne sera pas celui qui aura accumulé le plus de cubes de victoire, mais bien celui qui en aura le plus dans sa moins bonne couleur (pour rappel il y a 4 couleurs), ce qui interdira de facto les stratégies du genre: « ok je développe tout en vert, je suis le king du vert, je bastonne tout et j’explose tout le monde ». Mais au contraire obligera à une stratégie équilibrée et variée (sans s’interdire un petit coup d’éclat de temps en temps, c’est tellement bon de briser la nuque de cet infâme bleu qui me narguait depuis 10 minutes).
Si on mixe le tout et on mélange, on obtient un très très grand jeu qui n’a pas vieilli le moins du monde comme déjà dit, et qui est toujours aussi bon. Il y a deux raisons pour lesquelles je ne lui donne pas 9,5 voire 10: de 1 il est très difficile de gagner si vous ne tirez pas un minimum de tuiles rouges. Je ne dis pas qu’il en faut beaucoup pour gagner, mais si vous faitez une partie où vous n’avez pas de pot et vous n’en avez quasi pas, ben ça va être difficile. Surtout en fait si vous n’en avez pas plusieurs en même temps à un moment donné (mais il y a toujours l’action permettant de changer ses tuiles pour modérer cela). Et de 2 il y a un petit risque de kingmaking, puisqu’on peut placer ses tuiles / attaquer qui on veut, et une attaque bien placée peut faire très mal. Donc gare aux jeux d’influence, à la magouille voire au « mal joué » (« je t’avais dit de l’attaquer lui plutôt que moi, regarde je n’ai que 5 points il en a 43″…. « ha ben zut scuse »)! Si vous n’êtes pas dérangés par ces deux minuscules bémols précipitez-vous, Tigris & Euphrates est un des chefs-d’oeuvre du maître…